L’Otan poursuit la guerre froide dans le 21e siècle
Vu du ciel, le nouveau quartier général de l’Otan à Bruxelles représente deux mains d’acier enlacées. Futuriste et écologique, il fait entrer l’Alliance dans le 21e siècle et a été conçu pour affronter toutes les menaces dans une période à nouveau troublée par les ambitions des dirigeants des grands blocs et les foucades du nord-coréen Kim Jong-un.
Son patron, le Norvégien Jens Stoltenberg, emménagera dans ses nouveaux quartiers le 30 avril, et tous les personnels auront définitivement quitté les vieux bâtiments du siège historique le 15 juin.
Il y avait urgence. « Le jour où j’ai découvert une fuite d’eau dans mon bureau, j’ai compris que le moment de partir était venu ». Nommée en 2016 au poste de secrétaire général délégué de l’Otan, l’Américaine Rose Gottemoeller, première femme dans cette fonction, n’a pas eu vraiment le temps de s’attacher au siège historique et ne dissimule pas son plaisir de le quitter.
Construit « provisoirement » sur le site d’un ancien hôpital, le siège bruxellois a été inauguré en 1967. Le provisoire a duré. Au fil des années et des adhésions, il est devenu une imbrication de préfabriqués et de couloirs. Malgré les coups de peinture, il a mal vieilli et est devenu vétuste, froid, inconfortable, inadapté, avec un hall d’entrée » où l’on n’a pas envie d’être accueilli », reconnait en riant un haut responsable de l’Alliance.
Edifié de l’autre côté du boulevard Leopold III sur le terrain d’une base aérienne de l’armée belge, le nouveau quartier général s’étire sur 240.000 m2. Le bâtiment a été remis à l’Otan le 25 mai 2017 à l’occasion d’un sommet de l’Alliance. Mais il était vide. « C’est magnifique », avait toutefois jugé Donald Trump. Le président américain et ses homologues le découvriront équipé lors de leur prochain sommet en juillet.
L’installation va bon train. Tous les jours, les personnels empruntent le « tapis volant », surnom donné à la noria de navettes mises à leur disposition pour traverser l’avenue et réaliser un bond dans l’histoire.
Le choc est brutal pour qui arrive des vieux blocs préfabriqués du siège historique. L’Agora, coeur du nouveau siège, est une cathédrale de cristal. Des ascenseurs ouverts desservent les six étages où sont nichées les ambassades des 29 états membres et les délégations militaires. La vue englobe tout Bruxelles.
Un vase chinois bleu à une fenêtre tranche dans ce décors minéral. « Ce sont les locaux d’une délégation. Ce sont les seuls à avoir le droit à des éléments de décoration », m’a expliqué le représentant de l’Otan au cours d’une visite de presse .
Les locaux pour les 4.500 personnels de l’Alliance sont neutres et fonctionnels. « C’est très basique », a-t-il souligné. Tous est ouvert, lumineux. « On veut que les gens se parlent, communiquent ».
Une place publique a été conçue dans la partie des bâtiments où se trouvent la salle de presse dont les baies vitrées donnent sur le centre de conférence, point névralgique du siège. Restaurants, cafétéria, coiffeur, kiosque à journaux, pharmacie, deux agences bancaires, un supermarché avec un point poste: une petite ville s’est édifiée. Mais les loyers sont très élevés, déplorent les gérants. Et les mesures de sécurité sont drastiques pour leurs employés.
La partie la plus délicate de l’installation a été la sécurité des communications. Elle a fait prendre du retard au déménagement. « Tous les jours nous sommes la cible de cyberattaques » a confié Mme Gottemoeller. « Nous avions besoin d’un système sécurisé absolument fiable 24h sur 24 », a-t-elle expliqué. L’Alliance est entrée dans une zone grise permanente. « Ce n’est pas la guerre, mais ce n’est pas la paix », m’a expliqué un de ses cadres. « Avec la pression russe aux frontières, on ne peut plus dire qu’une guerre en Europe est impossible », s’inquiète-t-il. Mais le conflit se joue pour le moment dans le cyberespace, « là où n’importe qui attaque n’importe quoi à n’importe quel moment n’importe où », souligne-t-il .
Le site est également protégé. « Toutes les mesures possibles, nous les avons prises », ont assuré les responsables de l’Otan en réponse à ma question sur une attaque similaire à celle menée le 11 septembre 2001 contre le siège du Pentagone avec un avion de ligne détourné. L’aéroport international de Bruxelles est à quelques kilomètres de distance. Mais pas question de donner plus de détails
L’Otan est propriétaire de son nouveau siège. Il lui aura couté 1,17 milliards d’euros. Le siège historique hébergera sa dernière réunion ministérielle le 27 avril. Il sera restitué à la Belgique en 2020. « Nous ne savons pas ce qu’il va devenir », a confié Mme Gottemoeller.