Coup de vieux pour la diplomatie européenne

Coup de vieux pour la diplomatie européenne

Un septuagénaire ombrageux,  l’Espagnol Josep Borrell, 72 ans, va succéder le 1er novembre à l’Italienne Federica Mogherini, sa cadette de 30 ans, à la tête de la diplomatie européenne. Une charge épuisante, sans réel pouvoir, car sans argent, et sur laquelle pleuvent plus souvent les critiques que les éloges.Federica Mogherini n’a pas grand chose à transmettre à Josep Borrell. Quels conseils peut accepter un homme aussi « expérimenté et déterminé », qui plus est doté d’un très mauvais caractère ?

Pendant cinq ans, l’Italienne a été le visage de l’Europe. Elle a porté une charge épuisante et peu gratifiante, faite de déplacements constants.

Mais son bilan est maigre. L’accord sur le nucléaire avec l’Iran est moribond, torpillé par Donald Trump; les relations entre la Serbie et le Kosovo, grand succès de son prédécesseur, la Britannique Catherine Ashton, sont à nouveau tendues, et elle a été peu a peu mise à l’écart des dossiers chauds, notamment la crise entre la Russie et l’Ukraine, le conflit en Libye, les relations avec Washington, traités directement par les grandes capitales européennes.

Trop d’intérêts italiens sont en jeu dans les dossiers russes et libyens, ont expliqué plusieurs diplomates pour expliquer la mise sous tutelle de la Haute Représentante. La présidente de la Lituanie Dalia Grybauskaité l’avait accusée d’être « pro-kremlin » pour tenter de bloquer sa nomination en 2014.

Federica Mogherini et Josep Borrell ont seulement deux points en commun. Ils sont polyglottes et tous les deux sont redevables de leur nomination à la tête de la diplomatie européenne à leurs « patrons », Matteo Renzi pour l’Italienne, Pedro Sanchez pour l’Espagnol.

Mogherini est proche de Dario Franceschini, l’homme qui a permis à Matteo Renzi d’écarter Enrico Letta pour prendre le pouvoir au sein du Partido Democratico et devenir président du Conseil. En retour de ce soutien, Renzi a soutenu la nomination de sa protégée.  Véritable « Brutus » de la politique italienne, il l’a ensuite poignardée avec un jugement lapidaire sur son bilan, « proche de zéro sur presque tous les dossier ».

Borrell est un des barons du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol et il a été l’un des seuls à soutenir le retour puis l’ascension de Pedro Sanchez. « Il m’a défendu et soutenu. Je sais qu’il l’a fait par conviction politique, pas pour des raisons personnelles », a écrit le jeune dirigeant espagnol dans son autobiographie « Manuel de Resistencia ».

Ces considérations mises à part, Federica et Josep sont très différents. Mais cela importe peu, car la fonction, malgré un titre ronflant de vice-président de la Commission européenne, est un marché de dupes. « Rien de positif dans la position de Haut Représentant: que des coups et des revers », résume un des conseillers de Mogherini. « L’argent reste géré par la Commission et le service d’actions extérieures n’a aucun levier pour sa politique », ajoute un autre.

Ironie de l’histoire, Josep Borrell n’a jamais cru dans l’utilité de cette fonction. Il reconnait même s’être opposé à la création d’un Haut Représentant pour la politique extérieure de l’UE membre de la Commission européenne. « La Commission a des relations extérieures, mais seuls les Etats ont une politique étrangère », se plait-il à dire. « Une chose est d’avoir des relations avec des états étrangers, une autre est d’avoir une politique étrangère commune. Or l’Union européenne n’a pas une politique étrangère commune », ajoute-t-il.

Mais il veut jouer le jeu et il veut le faire bien. Grande gueule, il est toutefois devenu craintif après sa désignation lors du sommet européen le 30 juin. Il sait que son audition par le Parlement européen avant le vote en octobre sera une épreuve. Il ne bénéficiera d’aucun bienveillance de la part de ses adversaires. Il a beau avoir présidé l’Assemblée de 2004 à 2007, ses détracteurs vont tenter de le faire trébucher. Il a dit à maintes reprises redouter de ne pas passer l’épreuve.  Il devrait pourtant s’imposer facilement, sauf à piquer un de ses coup de colère dont il est coutumier lorsqu’il est contrarié.

Avec sa nomination, l’Union européenne va placer un homme difficilement contrôlable à la tête de sa diplomatie. Josep Borrell est considéré comme « peu diplomate », ses déclarations à l’emporte-pièce lui valent beaucoup d’inimitiés à Washington et à Moscou et il  la réputation de ne pas aimer jouer en équipe.

Sa tâche sera délicate s’il veut s’imposer comme la voix de l’UE. Cinq dossiers explosifs l’attendent dès sa prise de fonction le 1er novembre: la poudrière du Golfe, les crises déclenchées par Vladimir Poutine, partenaire et adversaire de l’UE, et celles provoquées par Donald Trump, ouvertement  hostile à l’UE, la stabilisation et l’intégration des pays des Balkans occidentaux, lorsque son pays, l’Espagne refuse de reconnaitre l’indépendance du Kosovo, et l’irruption de la Chine dans les relations internationales.

Beaucoup d’analyses ont été délivrées par les nombreux centres de réflexions européens sur ce que le nouveau chef de la diplomatie européenne devra et pourra faire.

En fait, il lui faudra d’abord s’imposer. « L’UE n’a pas  besoin d’un vingt neuvième chef de la diplomatie »,  estiment les capitales. Josep Borrell devra d’abord rendre son utilité aux réunions des ministres des Affaires étrangères. Le Français Jean-Yves le Drian, son ami,  a souvent boudé ces rencontres et ne se déplace à Bruxelles ou à Luxembourg que lorsque la diplomatie française a un message à délivrer. Son prédécesseur Laurent Fabius ne venait pratiquement jamais, et ses rares visites étaient brèves.

« On se demande ce qu’on y fait. Certains parlent beaucoup, d’autres moins. Chacun apporte son analyse, raconte ses déplacements. Je ne suis pas certain que ce soit ce que les autre attendent de ces réunions », raconte un participant. A cinq minutes de temps de parole, un tour de table à 27 prend plus de deux heures. C’est très long. Trop long.

« On a surtout besoin que le Conseil soit capable d’arriver à des décisions et ce n’est pas évident », souligne-t-il. Les sanctions doivent être décidées à l’unanimité, ce qui est souvent impossible. Et supprimer cette règle « nécessitera l’unanimité ». La messe est dite.

Le Haut Représentant est un faux « top job ».  Il dirige une énorme machine avec une armée de 5.600 fonctionnaires et diplomates, mais ses pouvoirs sont nuls. Or Borrell est plus un politique qu’un gestionnaire. Et il est fatigué. Etre le visage de la diplomatie européenne ne va pas l’intéresser, surtout s’il faut beaucoup voyager, comme Mogherini, sans avoir les moyens de faire bouger les choses.

L’Allemande Ursula von der Leyen a été avertie. Elle est prête a le contourner si cela s’avère nécessaire, m’a confié un dirigeant du Parti Populaire Européen, la famille politique de la présidente de la Commission. Son prédécesseur Jean-Claude Juncker traitait directement avec Donald Trump, car le président américain avait trouvé en lui un interlocuteur capable de le comprendre.

Josep Borrell risque d’être marginalisé. L’argent restera géré par la Commission européenne et les grandes capitales ne renonceront jamais à leur diplomatie. L’accord nucléaire avec l’Iran est géré au niveau européen par le E3 formé par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. La crise entre la Russie et l’Ukraine est traitée depuis 2014 selon le format Normandie par la France et l’Allemagne avec les deux belligérants.

Beaucoup d’interrogations demeurent sur l’utilité de la fonction. Le Haut-Représentant sert trois maîtres jaloux de leurs prérogatives: son pays, dont il doit défendre les intérêts au sein de la Commission;  la présidente de la Commission européenne, dont il est un des subalterne malgré son titre de vice-président, et le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernements, dont il est le représentant. Il faut ajouter le Parlement européen, devant lequel il doit rendre compte. Le « HightRep » n’a aucune réelle autonomie, car ses maîtres ne veulent pas d’un ténor. Il est un produit de synthèse, chargé de présenter les positions des Etats membres, souvent des compromis laborieux peu satisfaisants.

Son compatriote  Javier Solana reste le modèle du Haut Représentant de l’UE.  Il a porté  la fonction pendant dix années de 1999 à 2009 avec dix fois moins de moyens, parce qu’il l’a assumée après avoir dirigé l’Otan pendant trois ans et qu’il était respecté.  A cette époque, la diplomatie mondiale connaissait le numéro de téléphone de l’UE, mais cela froissait beaucoup d’egos dans les capitales.

« Ma liberté s’est arrêtée le jour de ma nomination. Pas un instant de ma vie sans que l’on sache exactement à Bruxelles ce que je faisais. Je n’ai jamais été seule un moment. Maintenant que cela va s’arrêter, je vais recommencer à vivre », a raconté Federica Mogherini. Josep Borrrell est averti.

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