BoJo a largué les amarres européennes

BoJo a largué les amarres européennes

Souveraineté, souveraineté chérie. Boris Johnson use et abuse de l’argument pour imposer ses lignes rouges dans les négociations engagées avec l’Union européenne sur la nouvelle relation à créer après le divorce et ranime le spectre d’une nouvelle guerre de cent ans.

A Londres,  la City veut encore croire à la conclusion d’un accord de libre échange ambitieux avec l’Union.  A Bruxelles, les négociateurs européens se lancent dans l’aventure sans trop y croire.

Tout va dépendre de Boris Johnson, personnalité imprévisible, mais opportuniste. Pour traiter avec Michel Barnier, ile Premier ministre britannique a choisi David Frost, un homme de l’ombre fidèle et très anti-européen.

Le premier impératif est de rétablir une confiance mutuelle. « Les conditions ne sont pas réunies », soutient la secrétaire d’Etat française Amélie de Montchalin. En cause, le non respect par Boris Johnson des engagements inscrits dans l’acte de divorce .

Michel Barnier s’en inquiète. « J’écoute les discours britanniques, ceux du Premier ministre et d’autres ministres, et je vois une distanciation par rapport aux engagements pris », a-t-il déploré devant le Parlement européen quelques jours avant le lancement de la négociation à Bruxelles.

« On ne peut pas signer un nouvel accord si l’accord de divorce n’est pas pleinement respecté », avertit  Amélie de Montchalin.

Les négociations ont débuté le 2 mars. Michel Barnier et David Frost se sont rencontrés en aparté pour « une explication sur leurs mandats ». Ils ont lancé le lendemain les travaux de dix tables thématiques. Le coronavirus a été le prétexte invoqué pour éviter les poignées de main. Tout un symbole.

Deux jours après, le constat est sévère. « Pour être tout à fait franc, il y beaucoup de divergences. Et des divergences très sérieuses »,  a lâché Michel Barnier.  Londres a confirmé.

« Les négociations se passent bien », assure toutefois le Français. « Dans la première phase, nous essayons de voir clairement, précisément, où se situent nos divergences, nos zones d’ombre, nos convergences », a-t-il expliqué. Mais le Savoyard n’est pas dupe et refuse de se laisser flouer.

La prochaine session est prévue à Londres et il en ira ainsi alternativement toutes les deux à trois semaines.

« On démarre sur un réflexe de défense, et pour cette raison, c’est casse-gueule », confie un diplomate européen. « Cette négociation risque de capoter assez vite », estime-t-il.

Le risque d’échec est dans tous les esprits. Michel Barnier l’évoque dans chacune de ses interventions. Boris Johnson lui a fait comprendre qu’il pouvait s’accommoder d’une relation régie par les seules règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Il reste neuf mois pour conclure. Mais l’heure de vérité pourrait sonner dès l’été. Les Britanniques ont annoncé être prêts à se retirer en juin faute de perspective d’accord. « La Commission européenne a anticipé la possibilité d’un +no deal+ et continue de s’y préparer », a répondu sa porte-parole Dana Spinant.

Le mandat de négociation britannique a confirmé le fossé entre les positions. « On va droit au conflit », prédit un responsable européen.

« Après avoir passé la semaine à Bruxelles, je peux vous dire que l’humeur des hauts fonctionnaires de l’UE est extrêmement morose. Le sentiment est que l’UE va finir par commercer avec le Royaume-Uni comme elle le fait avec les États-Unis ou la Chine, dans le cadre de l’OMC », souligne Mujtaba Rahman, un des analystes les plus pointus sur les relations entre l’UE et le Royaume-Uni.

Les dirigeants de l’UE misent sur les pressions des secteurs économiques du Royaume-Uni et de la City, inquiets des conséquences d’une absence d’accord, pour contraindre Boris Johnson à se montrer pragmatique.

« A un moment, il y aura un effet réalité. La question est de savoir s’il viendra à temps », estime un négociateur européen.

Cet espoir risque d’être déçu. Boris Johnson refuse de demander une prolongation. « Il ne veut pas ranimer le débat sur la question européenne au sein de son parti », explique un responsable européen.

« Le Brexit est fait. Pour lui, l’Europe c’est fini », confirme le Britannique Jonathan Fall, ancien Directeur général de la Commission européenne chargé de négocier un ensemble de réformes pour convaincre les électeurs britanniques de rester dans l’UE avant le référendum de 2016.

Les 27 proposent à Londres un accord de libre échange « sur mesure » avec aucun tarif et aucun quota. « L’offre est inédite », insiste un négociateur européen.

La contrepartie est l’engagement de ne prendre aucune mesure qui risque de fausser la concurrence et d’accepter des normes équivalentes à celles de l’UE pour la production industrielle. Il est également demandé au Royaume-Uni de « maintenir un accès réciproque » aux eaux territoriales pour les pêcheurs.

Boris Johnson refuse. Il s’est fait élire sur sa promesse de rendre au Royaume-Uni son « indépendance politique et économique ». « Il a un mandat de 5 ans, une majorité solide et très favorable au Brexit.  Il multiplie les annonces et il a les moyens de faire passer beaucoup d’argent dans le pays », analyse un haut fonctionnaire européen.

« En l’absence d’accord, on peut revenir à un arrangement commercial moins ambitieux, voire à un simple statut OMC comme d’autres pays dans le monde, avec des taxes et des quotas », explique un négociateur européen .

« Ce ne sera pas la fin du monde. L’UE n’a pas d’accord avec plein de pays et cela n’empêche pas de commercer », renchérit un autre.

Mais cela comporte des « risques réels, en raison des intentions affichées par le gouvernement britannique », estime-t-il.

La reprise du contrôle de ses eaux menace les communautés de pêcheurs du continent. La création de ports francs au Royaume-Uni va poser des problèmes aux grands ports européens comme Rotterdam, Anvers, Le Havre. Le versement d’aides d’Etat va fausser la concurrence. Tout cela inquiète dans les capitales de l’UE.

Boris Johnson invoque la souveraineté retrouvée du Royaume-Uni pour justifier ses prises de position. L’argument agace. « C’est purement idéologique. L’engagement sur un niveau de standards élevé dans un accord international n’a jamais été incompatible avec la souveraineté. Il a le droit de rejeter l’offre européenne, mais chacun sait que le Royaume-Uni sera la première victime d’une relation ramenée aux règles de l’OMC », s’insurgent les diplomates européens à Bruxelles.

« Personne ne viendra remplacer Nissan quand il quittera le site de Sunderland », explique l’un d’eux.

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