Afghanistan: le Vietnam de l’Otan

Afghanistan: le Vietnam de l’Otan

Défaite, humiliation, gâchis. Vingt ans après l’intervention en Afghanistan pour en chasser les terroristes d’Al Qaida, les Américains ont livré le pays aux talibans et leur départ sonne le glas des opérations extérieures de l’Otan.

L’accord conclu avec les « étudiants » par les Américains en février 2020 est un accord « pourri ». Le ministre de la Défense britannique Ben Wallace ne mâche pas ses mots dans un entretien publié par le Daily Mail le 9 août. Les talibans ont compris qu’ils avaient gagné, souligne-t-il.

Les troupes américaines ont commencé à se retirer en avril. Les talibans ont lancé une offensive généralisée en mai. Trois mois après, ils contrôlent la moitié du pays, ont pris dix  des 34 capitales provinciales, sont maîtres des frontières et des axes d’approvisionnement.  Pour Pascal Boniface, la reprise du pouvoir est « une question de jours » .

La capitale Kaboul est encerclée et vit au rythme des annonces de défaites militaires. Les troupes américaines se sont envolées très vite, plus rapidement que prévu, parfois en catimini, sans même passer le relais aux forces afghanes, et l’ambassade américaine à Kaboul a donné consigne à tous les ressortissants américains de quitter le pays au plus vite. Le signal d’un « sauve qui peut » est lancé. L’ancien ministre des Affaires suédois Carl Bildt est sévère. « Les Etats-Unis s’enfuient encore, comme en 1975 à Saigon », a-t-il lancé sur son compte twitter.

Les Afghans vont payer le prix fort de la trahison de Donald Trump et de la faiblesse de Joe Biden. Ils fuient les combats et les exécutions. Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell n’a pas hésité a dénoncer les exactions commises par les talibans comme des « crimes de guerre ».

La présidente de la Commission afghane des droits de l’homme, Shaharzad Akbar,  ne cache pas sa douleur, sa tristesse et sa peur dans un message sur son compte twitter.

Le président Ashraf Ghani est en colère contre les Américains. Ils les accuse d’avoir poussé à la « destruction de la République » et la  » légitimation » des talibans en négociant directement avec eux à Doha le départ des troupes étrangères d’Afghanistan.

« Nous ne sommes pas allés en Afghanistan pour construire une nation. Et c’est le droit et la responsabilité du peuple afghan seul de décider de son avenir et de la façon dont il veut diriger son pays », a répondu Joe Biden .

La débâcle est une humiliation pour les alliés de l’Otan. Ils ont répondu à l’activation de l’article 5 du traité de l’Alliance après les attentats du 11 septembre 2001 et sont intervenus en Afghanistan en soutien des Américains . Ils ont tous payé un lourd tribut et le comportement des Américains leur est resté en travers de la gorge.

L’Afghanistan n’a jamais pu être occupé . La volonté des Américains de se retirer était connue. « L’Afghanistan, c’était la chronique d’une défaite annoncée », a souligné un diplomate de l’Alliance. Mais la manière a choqué.

Les Américains ont négocié à Doha avec les talibans les termes du retrait de toutes les forces étrangères et ont mis leurs alliés face au fait accompli. Trump a signé seul la fin de l’opération « Resolute Support » lancée par l’Otan pour former les troupes afghanes. Les alliés et les gouvernements des pays partenaires de l’Otan n’ont pas eu d’autre choix que de rapatrier leurs contingents.

Le Royaume-Uni a tenté désespérément de former une coalition militaire pour soutenir les forces afghanes après le retrait des États-Unis, mais les alliés de l’Otan ont refusé de participer, a raconté Ben Wallace.

9.500 militaires de 36 pays, dont 2.500 Américains et 1;600 allemands,  étaient engagés dans l’opération « Resolute Support » qui s’est avérée un fiasco. L’armée afghane compte 300.000 soldats et policiers, dont 75.000 membres de forces spéciales  formés par l’Otan, mais ses soldats  se montrent incapables de résister aux talibans, pourtant inférieurs en nombre. La région de Kunduz, au nord, une zone confiée au contingent allemand, est tombée peu de temps après leur  départ.

« Nous serons probablement de retour dans 10 ou 20 ans. Mais il n’est pas possible d’agir maintenant. Le mal a été fait avec l’accord de Doha », a accusé le ministre britannique.

Nombre de gouvernements alliés partagent les positions exprimées par Ben Wallace et la méfiance envers Washington monte au sein de l’Alliance. Les attaques de Donald Trump ont marqué les esprits et les assurances de Joe Biden n’ont pas vraiment convaincu.

« Biden aurait pu dire + non, on ne part pas+. Mais il savait très bien qu’il aurait eu une guerre avec les talibans pire que l’offensive du Tet (en 68) au Vietnam et il n’a pas voulu payer ce prix. Et comme les Européens ne peuvent pas rester seuls, ils s’en vont aussi », a commenté Josep Borrell lors d’un entretien en juin en marge d’une réunion informelle avec les ministres des Affaires étrangères européens à Lisbonne.

« Je ne suis pas très optimiste sur ce qui va se passer », a-t-il confié.

L’Afghanistan va miner la fin de mandat de Jens Stoltenberg à la tête de l’Alliance. Le Norvégien a mis en garde dès novembre 2020 contre « le prix très élevé d’un départ précipité ».

« L’Afghanistan risque de redevenir une base pour les terroristes internationaux qui planifient et organisent des attaques contre nos pays et l’Etat islamique pourrait reconstruire en Afghanistan le califat de terreur qu’il a perdu en Syrie et en Irak », a-t-il averti.  Et une nouvelle crise de réfugiés menace l’UE.  Près d’un demi million d’Afghans vont se réfugier en Iran et au Pakistan et si les conditions d’accueil ne sont réunies, l’UE risque d’être confrontée à un afflux de demandeurs d’asile. Or les plans préparés par les des Nations Unies sont sous-financés, déplore l’UE. Une situation similaire à celle qui avait poussé des millions de syriens à faire mouvement vers l’Europe en 2015.

« Jens Stoltenberg avait raison, mais a-t-il pris les mesures ? », s’interroge un diplomate de l’alliance. Le secrétaire général de l’Otan a promis au président Ghani une assistance et la poursuite de la formation militaire des troupes afghanes lors d’un entretien le 27 juillet , pendant ses vacances. Des gilets pare-balles et du matériel médical ont été envoyés à Kaboul début août. Mais aucune décision n’a été prise pour assurer la sécurité d’une présence civile de l’Alliance et de l’UE. Washington a désigné un nouvel ambassadeur à l’Otan, mais Mme Julie Smith attend sa confirmation par le Sénat.

Des décisions importantes doivent être prises sur une force de protection chargée d’assurer la protection de l’aéroport de Kaboul et la sécurité des représentants civils de l’Alliance et de l’UE. La Turquie a dit être prête a assumer cette mission, mais elle veut une présence américaine. « Aucun Etat membre de l’UE n’a envie de se joindre à la participation militaire nécessaire pour faire fonctionner l’aéroport international. La Turquie sera seule et il lui faudra envoyer plusieurs centaines de soldats », a estimé un haut fonctionnaire européen.

Jens Stoltenberg devrait convoquer une réunion à son retour de vacances. Mais cela risque de d’être trop tard.

 

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