Poutine, un réveil douloureux pour l’Union

Poutine, un réveil douloureux pour l’Union

Personne ne sait comment la guerre de Poutine va se terminer et l’angoisse monte en Europe. Les dirigeants européens ont bouleversé l’agenda de leur sommet informel des jeudi 10 et vendredi 11 mars à Versailles pour discuter de défense et d’autonomie. Le réveil est douloureux et le constat terrible: l’Europe a trop tergiversé et elle se trouve dépourvue alors que la guerre est à ses portes.

« Nous n’allons pas demander à Zelensky de se rendre, de quitter Kiev, de ne pas se battre », a crânement affirmé vendredi dernier le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell. Il venait de présider la 5è réunion de crise des ministres des Affaires étrangères de l’UE à laquelle ont participé le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken et ses homologues britannique Liz Truss et canadienne Melanie Joly.

Mais comme toujours chez Josep Borrell, le réalisme a pris le dessus.  « Nous ne sommes pas capables d’arrêter la guerre demain », a-t-il reconnu.

Face à ce constat lucide, que peuvent faire les Européens ? Durcir encore plus les sanctions ? Des options sont à l’étude. « Tout est sur la table », a-t-il reconnu. « Mais on ne va pas annuler les achats de gaz et de pétrole à la Russie du jour au lendemain », a-t-il averti.  L’UE achète 153 milliards de m3 de gaz aux compagnies russes. Ils couvrent 40% de ses besoins, comme le montre cette infographie de l’institut Notre Europe.

Les Européens arrivent dans le coeur de leur arsenal et leur unité est à l’épreuve.  C’est « délibérément », rappelle le chancelier allemand Olaf Scholz, que l’Europe a exclu les livraisons d’énergie de la Russie des premières salves de sanctions.  Les importations d’énergie fossile en provenance de Russie sont « essentielles » pour la « vie quotidienne des citoyens » en Europe et l’approvisionnement du continent ne peut être assuré autrement à ce stade, a-t-il souligné. L’Allemagne, l’Italie, la Hongrie sont de gros clients de la Russie.

Vladimir Poutine reste inébranlable. Il a donné l’ordre d’attaquer l’Ukraine quelques heures après la publication du premier trains de mesures européennes. A ce bras d’honneur, les Européens ont répondu avec force: ils ont décidé d’armer l’Ukraine, ils ont sanctionné Poutine, son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et plusieurs oligarques proches du pouvoir; ils ont imposé un blocus aérien, gelé une partie des réserves de change détenues par la banque centrale, débranché sept banques russes du système financier international Swift, interdit les importations de technologies cruciales et banni Russia Today et Sputink, les deux média russes accusés de véhiculer la « propagande toxique du Kremlin ».

Toutes ces décisions ont été adoptées à l’unanimité. La Commission a dessiné les mesures et pesé leurs conséquences pour la Russie et pour l’UE. Les options ont été négociées au sein du +Coreper+ , l’instance des ambassadeurs des Etats membres présidée depuis le début de l’année par le Français Philippe Leglise Costa. Et lorsqu’un consensus a été trouvé, elles ont été validées par les capitales.

Tout n’est pas passé. Deux gros établissements financiers — Sberbank, première banque du pays, et Gazprombank, bras financier du géant des hydrocarbures– par lesquels transitent la majeure partie des paiements pour les livraisons de gaz et pétrole russes à l’UE restent connectés au réseau Swift.

Poutine n’a pas cédé. Les bombardements en Ukraine sont devenus massifs et ciblent les civils. L’UE est en défensive.  Elle  se tient prête à adopter « de nouvelles sanctions sévères si Poutine n’arrête pas la guerre qu’il a déclenchée », assure la présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula von der Leyen.  « Les effets d’annonces ne suffisent pas », met en garde Josep Borrell. « Nous avons adopté un paquet de sanctions. Il faut le mettre en oeuvre et combler les lacunes »,  explique-t-il.

Le G7 et la BCE ont pointé une des failles: les cryptomonnaies, utilisées par l’Iran et la Corée du Nord, deux pays parias.

Les sanctions européennes sont adoptées en concertations avec leurs alliés. Elles visent à saper la machine de guerre russe. Mais elles ont un revers: des conséquences pour les économies européennes.

Les prix des hydrocarbures et des céréales flambent dans le monde entier et si les forces russes s’emparent d’Odessa et du sud, le Kremlin contrôlera les ports maritimes de l’Ukraine, qui ont exporté plus de 150 millions de tonnes de marchandises en 2021. Cela représente 60% des exportations et 50% des importations du pays, producteur de céréales et de minerais à l’échelle mondiale.

« Nous devons assumer le coût des sanctions », plaide Charles Michel, le président du Conseil européen. « Nous devons parler compensations », répond le président du Conseil italien Mario Draghi.

L’ancien patron de l’OMS, Pascal Lamy préconise deux mesures dans un entretien au Grand Continent : « un paquet économique commun qui ressemblerait à celui de 2020 pour amortir le choc énergétique et inflationniste et un concept de relations entre l’Europe et la Russie ».

Emmanuel Macron veut lancer une réflexion à Versailles pour le sommet européen des 25 et 25 mars à Bruxelles.  Il demande  « un nouveau modèle économique », défend  « une stratégie d’indépendance énergétique européenne » et réclame « une défense européenne ».  Le projet de déclaration insiste sur ces trois dimensions .

Les deux dernières sont des serpents de mer. L’indépendance énergétique, la diversification des sources et des approvisionnements sont un engagement pris  depuis la crise de 2008, lorsque la Russie avait coupé les fournitures de gaz à l’Ukraine car elle ne payait pas ses factures. Les achats européens transitant par le réseau ukrainien avaient été touchés. L’Allemagne avait alors lancé en 2011 le projet NordStream2 avec Gazprom pour doubler la capacité de 55 milliards de m3 de NordStream1 et les Européens s’étaient imposés la constitution de réserves stratégiques. Une obligation non respectée, comme l’a montré l’état des stocks européens quand Poutine est entré en guerre.

La défense européenne est en gestation depuis encore plus longtemps et à chaque fois les ambitions ont été revues à la baisse.

Trop peu, trop tard. L’image colle à l’Europe à chaque crise

Poutine a créée un événement décisif. Il a secoué l’Allemagne. La première économie de l’UE s’est découverte nue, dépendante, désarmée. « L’Europe doit désormais rendre irréversible son réveil stratégique », soutient l’eurodéputé Arnaud Danjean. Car Donald Trump ou un de ses pareils peut revenir au pouvoir aux Etats-Unis, avec une base électorale isolationniste et pro-Poutine. Les déclarations de l’ancien président américain sont sans ambiguïtés .

Mais la priorité du moment est autre. Il s’agit d’arrêter la guerre.

L’offensive éclair des forces russes a raté. La résistance des ukrainiens a surpris. Mais le rouleau compresseur est lancé et il devient de plus en plus inhumain.

Comment faire ?  Ni l’Europe ni les Etats-Unis ne veulent s’engager dans le conflit. Ils ont renforcé les défenses de l’Otan sur le flanc oriental, mais pas question de s’engager à faire respecter une zone d’exclusion aérienne en Ukraine.

Eliminer Poutine ? Le mot a été lancé sous le coup de l’émotion par Jean Asselborn, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères. Il est peu réaliste. « Les sanctions n’ont pas pour but de faire tomber le régime, mais  d’affaiblir l’économie russe et de renforcer la position des Ukrainiens dans les négociations à venir », a souligné Josep Borrell. Personne ne sait ce que veut Poutine.  Reprendre l’Ukraine, comme il l’a annoncé? Aura-t-il les moyens de le faire et de ensuite tenir le pays ? Ou bien assurer la continuité territoriale entre la Crimée, les provinces sécessionnistes et la Russie, afin de pouvoir contrôler l’ensemble du littoral de la mer d’Azov ?  Geler le conflit, comme en 2014, serait une solution. Elle permettrait de gagner du temps. Mais Poutine le veut-il? Volodymyr Zelensky le veut-il ?

Des décisions difficiles vont devoir être prises très vite par les alliés. Un bain de sang est prédit. 5 millions de réfugiés pourraient gagner l’Union. Et déjà les commentaires anxiogènes sur la troisième guerre mondiale se multiplient sur les chaines « d’informations » en continu en Europe. Faut-il faire durer une guerre dont tout le monde dit qu’elle est perdue ou céder à la raison et accompagner le président ukrainien à Canossa, au risque d’ouvrir une boîte de Pandore aux quatre coins du monde. Le dilemme est terrible car quelle que soit la décision, Poutine aura gagné.

 

 

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