Jouer avec le feu  

Jouer avec le feu  

Le pire et à venir en Ukraine. Et le consensus se fissure au sein de l’Union européenne sur les mesures à adopter. Vladimir Poutine est dans une logique d’affrontement et il reste sourd aux menaces. Les Européens s’impliquent avec des fournitures d’armements, mais ils ne ne s’engageront pas contre un dirigeant détenteur du feu nucléaire. Leurs  sanctions vont mettre la Russie à genoux,  mais elles n’empêcheront pas le président russe de lâcher ses chiens de guerre et un bain de sang est annoncé.

Le siège de la ville portuaire de Marioupol, dévastée par les bombardements depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, a marqué un tournant dans la conduite de guerre déclenchée par Vladimir Poutine.

« Après l’échec de l’offensive éclair, il fait bombarder des civils pour briser le moral des populations », explique un haut responsable européen.

Selon Pavlo Kirilenko, le gouverneur ukrainien de la région de Donetsk, au moins 20.000 personnes ont péri à Marioupol, où des unités de l’armée ukrainiennes continuaient de se battre le 13 avril ,  retranchées dans les sous-sols des complexes industriels de la ville.

A bout de munitions et de vivres, plus d’un millier de soldats ukrainiens se sont rendus, a annoncé le Kremlin. Mais Kiev a assuré que la défense de la ville continue. « Des unités de la 36E brigade de la Marine nationale sont parvenues à rejoindre le régiment Azov », a assuré le porte-parole du président ukrainien . Difficile de percer le brouillard tombé sur l’information en temps de guerre

Encerclée, coupée du reste du pays, Marioupol devrait tomber et sa prise permettra au Kremlin de contrôler la bande côtière longeant la mer d’Azov en reliant les régions du Donbass à la péninsule de Crimée, annexée en 2014. Mais Vladimir Poutine veut davantage et une partition de l’Ukraine se dessine. Les forces russes se sont regroupées et renforcées pour mener une offensive dans cette région de l’Est du pays.

« L’issue de la guerre va se jouer avec la bataille pour le Donbass », soutient le chef de la diplomatie européenne, l’Espagnol Josep Borrell, après un déplacement à  Kiev où il s’est entretenu avec le président Volodymyr Zelensky.

« Les Russes vont faire la guerre comme ils savent la faire, au rouleau compresseur, et je redoute beaucoup de victimes civiles », a-t-il expliqué le 11 avril lors d’une réunion à Luxembourg avec les ministres des Affaires étrangères de l’UE.

« Les Ukrainiens craignent une offensive massive. Ils se préparent et nous devons les aider. Nous le faisons. Ce n’est pas un secret. Et ce n’est pas symbolique », soutient-il.

Pressé de questions sur les difficultés à faire adopter par l’Europe  un embargo sur les achats de pétrole et de gaz russe, son sourire se crispe et le ton devient plus mordant. « Les batailles vont avoir lieu avec sous sans nouvelles sanctions, que nous achetions ou pas du gaz et du pétrole russe », lance-t-il.

« Il faut se concentrer sur les moyens défensifs à fournir aux forces ukrainiennes. Si nous coupons le gaz russe la semaine prochaine, cela n’empêchera pas la Russie de passer à l’offensive » , insiste-t-il.

Vladimir Poutine « ne s’arrêtera pas », avertit Emmanuel Macron dans un entretien à l’hebdomadaire Le Point  « Il a besoin d’une victoire militaire » pour le 9 mai, date de la commémoration de la victoire des troupes russes sur le nazisme en 1945, explique le président français.

Les négociations avec les Ukrainiens sont de la façade. « Il s’agit plus de discussions que de véritables négociations pour l’instant », soutiennent les diplomates à Bruxelles.

Le chancelier autrichien, premier dirigeant européen a avoir rencontré Vladimir Poutine depuis le début de l’intervention, s’est dit  « pessimiste » le 11 avril après son entretien et a décrit un président russe enfermé dans une logique de guerre.

Poutine veut laver l’échec subi à Kiev. Il a échoué à prendre la capitale de l’Ukraine et a du accepter de replier ses forces après avoir perdu des milliers de soldats et des quantités impressionnantes de matériel. Le Kremlin a reconnu fin mars la mort de 1.351 soldats et annoncé 3.825 blessés.

Il a confié l’offensive du Donbass au général Alexandre Dvornikov, surnommé le « boucher » pour ses méthodes pendant la bataille d’Alep en Syrie.

L’objectif est la prise des régions de Lougansk et Donetsk, puis la ville de Dniepro, centre important de l’industrie aéronautique sur les rives du Dniepr.

L’Ukraine concentre ses forces pour cette bataille et a appelé les civils à fuir . « L’Europe n’interviendra pas et nous craignons ce qui va se passer », confesse Josep Borrell.

Affronter Moscou signifie jouer avec le feu, car Vladimir Poutine possède l’arme nucléaire. « Nous ne sommes pas dans la configuration de l’intervention contre la Serbie lors du conflit avec le Kosovo ou en Syrie. Il y a un vrai risque d’escalade et les Ukrainiens sont réalistes. Ils savent très bien qu’ils seront les premières victimes d’un scénario de destruction massive », commente le représentant d’un pays membre de l’Otan.

« Aucun de nous ne peut prendre à la légère la menace que représente le recours potentiel à des armes nucléaires tactiques ou des armes nucléaire de faible puissance »,  a averti le patron de la CIA, Nicolas Burn.

Le Kremlin ne montre aucun scrupule en Ukraine. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) dénoncé les violations flagrantes des droits humains commises par les troupes russes et Washington soutient avoir des « informations crédibles » sur l’emploi d’agents chimiques à Marioupol.

Les forces ukrainiennes auront-elles reçu suffisamment d’armement lourd pour stopper et repousser l’assaut russe? Les Russes ont mobilisé près de 60.000 hommes ramenés du front nord appuyés par 2.000 chars et ils pilonnent l’Ukraine avec des missiles tirés depuis des navires situés hors de portée.

Les Ukrainiens ont déployé 40.000 soldats, mais ils ont besoin d’artillerie, de blindés et de missiles pour frapper les forces russes. Ces équipements ont été promis par les pays de l’Otan.  Washington annonce l’envoi de pièces d’artillerie de dernière génération utilisées encore récemment par l’armée américaine en Afghanistan, des obus, des radars, des drones, des missiles antichars et des blindés. Londres et Paris ont également annoncé des envois d’armes.

Il y a urgence. « Sans armement supplémentaire, cette guerre deviendra un bain de sang sans fin, répandant misère, souffrance et destruction. Marioupol, Boutcha, Kramatorsk,  la liste se poursuivra. Personne n’arrêtera la Russie sauf l’Ukraine avec des armes  lourdes », affirme le président Zelensky.

« La Russie tente d’encercler les troupes ukrainiennes dans le Donbass », explique son ministre de la Défense Oleksiy Reznikov . « Les alliés de l’Ukraine devraient fournir des missiles à longue portée et d’autres armes pour empêcher cela ».  Une longue liste a été transmise aux gouvernements occidentaux. Elle comprend des chars T-72, des système de défense aérienne, des lanceurs multiples de roquettes, des avions de combat.

Les Ukrainiens ont surpris par leur résistance et ils montrent être capables de frapper les Russes au coeur .  Le croiseur lance missiles Moskva,  navire amiral de la flotte russe en Mer Noire,  a été « gravement endommagé » par des explosions et a coulé. Les Ukrainiens affirment l’avoir touché avec deux missiles « Neptune« . Les Russes démentent et évoquent l’explosion de munitions causée par un incendie.

L’escalade  redoutée arrive.  « Nous voyons des tentatives de sabotage et de frappes des forces ukrainiennes sur des cibles sur le territoire de la Fédération de Russie, a déclaré Igor Konachenkov, le porte-parole du ministère russe de la Défense. « Si de tels événements se poursuivent, des frappes seront menées par l’armée russe sur des centres de prise de décision, y compris à Kiev, ce que l’armée russe s’est retenue de faire jusqu’à présent », a-t-il averti.

« La ligne rouge est une décision totalement arbitraire », commente un haut responsable européen. « Elle dépend de l’humeur des Russes ».

« La diplomatie ne peut reprendre la main que lorsque les deux parties sont épuisées ou lorsqu’une partie a clairement perdu. Nous n’en sommes pas encore là », commente-t-il.

Le conflit pourrait durer, car Poutine n’a pas renoncé à reprendre l’Ukraine et de nouvelles sanctions vont s’imposer. « Elle ne sont pas une fin mais un instrument pour parvenir à une fin », insiste Josep Borrell.

Le 5e paquet adopté par l’UE le 8 avril impose un embargo sur les achats de charbon, une interdiction des navires battant pavillon russe dans les ports de l’UE, de nouvelles interdictions d’exportation qui ciblent les combustibles pour moteurs à réaction et d’autres biens tels que les ordinateurs quantiques et les semi-conducteurs avancés, l’électronique haut de gamme, les logiciels, des machines sensibles ou du matériel de transport. L’UE va en outre cesser d’importer de Russie le bois, le ciment, les engrais, le caviar et …la vodka.

Les Européen ont en outre ajouté 500 millions au milliard déjà décaissé pour financer les achats et les livraisons d’armements à l’Ukraine.

« Les restrictions approuvée par l’UE équivalent aux exportations américaines vers la Russie », souligne le représentant d’un Etat membre, agacé par la pression exercée par certains gouvernements pour l’adoption immédiate d’un sixième paquet avec l’arrêt des achats de pétrole et de gaz à la Russie.

« Zelensky commence a commettre des erreurs avec les Européens . Ce n’était pas utile de braquer Viktor Orban », le Premier ministre hongrois proche de Poutine, commente un diplomate européen de haut rang.  Il a également froissé Emmanuel Macron par ses critiques et a choqué les Allemands avec son véto à la visite à Kiev du président Frank-Walter Steinmeier.

Or le consensus commence à se fissurer au sein de l’UE avec l’examen des sanctions dans le secteur de l’Energie.  « Nous savons que c’est très difficile pour certains États membres », a reconnu le chef de la diplomatie irlandaise Simon Coveney lors de la réunion de Luxembourg.

« Mais l’Union européenne dépense des centaines de millions d’euros pour importer du pétrole de Russie, ce qui contribue certainement à financer cette guerre. Nous devons mettre un terme à ce financement, même si cela crée d’énormes défis et problèmes », a-t-il insisté.

« Il est facile de dire on renonce au gaz russe quand on ne l’utilise pas. Mais la tâche devient malaisée quand on est fortement dépendant », a répondu Josep Borrell.

« Un signal très important a été envoyé avec le charbon, car pour la première fois l’UE est passée aux sanctions sur l’énergie. Le pétrole et le gaz viendront, mais il faut conserver le consensus », insiste le représentant d’un Etat membre.

La Russie fournit 40% du  gaz,  30% du brut et 15% des produits pétroliers achetés par l’UE. « En 2021, la facture des importations de pétrole russe était quatre fois plus importante que celle du gaz, 80 milliards de dollars contre 20 milliards », souligne Josep Borrell.

Chaque jour, l’UE verse au budget russe 800 millions de dollars, utilisés pour financer la machine de guerre russe. C’est injustifiable. L’Italie l’a compris. Elle a déjà amorcé la fin de sa dépendance au gaz russe. L’Allemagne,  en revanche,  traine les pieds, tétanisée par les conséquences pour son économie et donc pour sa prospérité.

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