Défense européenne: une boussole, un parapluie et un mantra

Défense européenne: une boussole, un parapluie et un mantra

Terrorisés par l’extension possible du conflit déclenché par Vladimir Poutine en Ukraine, les Européens se sont frileusement réfugiés sous le parapluie américain de l’Otan et ont entrepris de se réarmer pour combler les trous identifiés par leur « boussole stratégique » avec un mantra: acheter européen.

Le conflit en Ukraine va durer. L’avertissement vient du secrétaire général de l’Otan, le norvégien Jens Stoltenberg, après analyse des renseignements partagés entre les alliés.  Il ne pourra prendre fin qu’avec la défaite de Poutine, clament les faucons à l’Ouest. Pour le moment, ni Moscou ni Kiev ne sont prêts à négocier et les approches tentées par Emmanuel Macron et Olaf Scholz pour tenter de mettre fin aux combats suscitent des critiques virulentes.

La prise de Marioupol après la reddition des derniers combattants ukrainiens retranchés dans le complexe métallurgique Azovstal à permis aux forces russes de développer leur offensive dans la région du Dombass. Les bombardements sont intensifs et les pertes sont énormes des deux côtés,  mais personne ne communique.

L’Europe va devoir poursuivre et accroitre son soutien financier et militaire à l’Ukraine. Mais les divisions pointent entre les 27 et l’atmosphère se tend. Cinq trains de sanctions ont été approuvés, un accord a été obtenu débloquer 2 milliards d’euros afin de financer la fourniture d’armes au gouvernement ukrainien et un embargo sur les achats de pétrole à la Russie est en passe d’être décrété, dès qu’une solution aura été trouvée pour éviter l’effondrement de l’économie hongroise, totalement dépendante de ses achats de gaz et de pétrole à la Russie. Mais les compromis sont de plus en plus difficiles à trouver et peu de chances sont données pour l’adoption d’un septième paquet avec l’arrêt des importations européenne de gaz russe.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky va devoir montrer un peu plus de finesse et éviter de monter les 27 les uns contre les autres en leur adressant des bons et des mauvais points comme il l’a fait lors de sa dernière intervention lors d’un sommet européen.

La peur d’être impliqués dans le conflit pousse les Européens à se réarmer, pour être plus autonomes et ne plus dépendre uniquement de la protection américaine de l’Otan.

« La peur de la guerre est très différente entre les pays européens. Pour la France, elle semble loin. Mais ce n’est pas vrai. Des missiles Iskander sont déployés aujourd’hui au Bélarus et la  menacent »,  rappelle Emmanuel Macron

Le sommet de Versailles, en mars, a été un tournant. Au terme d’une discussion difficile de plusieurs heures, les dirigeants de l’UE ont approuvé une déclaration commune par laquelle ils s’engagent à « augmenter substantiellement leurs dépenses de défense » afin « d’accroître leur capacité d’agir de manière autonome » et « d’assurer leur assistance mutuelle ».

La guerre  en Ukraine quelques mois  après l’abandon de l’Afghanistan  a été un choc. Les Européens ont découvert le sous-équipement criant des forces armées en Allemagne et réalisé leur incapacité à déployer une force militaire pour assurer l’évacuation de leurs ressortissants d’une zone en conflit sans l’aide des Etats-Unis.

Le réveil est brutal. La « boussole stratégique » a révélé les manques criants provoqués par des années de désarmement.

Les dépenses de défense des pays de l’UE ont augmenté de 20% entre 1999 et 2021, quand leur croissance a été de 60% aux Etats-Unis, de 292% en Russie et de 592% en Chine, a souligné la Commission.

Pour la première fois dans leur histoire, les pays de l’Union européenne ont décidé de se doter d’une force militaire d’intervention rapide de 5.000 combattants capable de mener des « opérations de combat ». Elle doit être opérationnelle d’ici 2025.

« Les Traités européens stipulent que l’UE peut s’engager dans des missions de combats: elle ne l’a jamais fait, mais si cela s’avère nécessaire, elle doit être prête », a soutenu le chef de la diplomatie européenne, l’Espagnol Josep Borrell,  après l’adoption de cette décision.

« Les Européens doivent comprendre que certaines situations peuvent impliquer d’utiliser la force. La capacité européenne doit s’entraîner pour des missions de combat », a-t-il insisté.

La  « boussole stratégique » est « un plan d’actions » et « s’il n’est pas mis en oeuvre, il sera inutile », a-t-il averti.

La force d’intervention rapide n’est pas une armée européenne. Elle sera constituée de « composantes terrestres, aériennes, maritimes » et dotée de capacités de transports afin d’être en mesure de « mener des interventions pour sauver et évacuer des ressortissants européens » pris dans un conflit.

« L’unanimité reste la règle pour les décisions d’intervenir, mais les Etats qui ne voudront pas participer à une mission pourront rester à l’écart, sans empêcher les autres d’agir », a-t-il souligné.

La force européenne doit être « complémentaire de l’Otan, pour agir là où l’Otan ne peut ou ne veut pas agir », a précisé Josep Borrell.

La relation entre l’UE et l’Otan reste ambiguë. 21 des 30 pays de l’Alliance sont membres de l’UE, mais l’autonomie européenne défendue par le président français Emmanuel Macron ne passe pas. Le parapluie américain reste la seule assurance protection pour la plupart d’entre-eux, même si sa crédibilité a pris des coups avec la présidence de Donald Trump.

La Finlande et la Suède, deux des six pays de l’UE non intégrés dans l’Otan, ont ainsi demandé à adhérer à l’Organisation, peu confiants dans la clause de solidarité de défense commune du traité de Lisbonne, conclu en 2009.

Les Européens doivent investir dans des capacités qui leur font défaut, notamment des drones, des chars, des systèmes de défense anti-aériens et anti-missiles.  « Un réarmement massif est engagé », note la Commission. Des engagements pour près de 200 milliards d’euros ont été annoncés par les Etats membres.

Jusqu’à présent très réticente sur la défense, l’Allemagne va porter ses dépenses à 2% de son PIB et veut constituer un fonds exceptionnel doté de 100 milliards d’euros. « Il faut coordonner cet influx d’investissements et les canaliser vers les priorités », avertit un responsable européen.

Trois urgences ont été identifiées: la reconstitution de stocks de munitions et d’armes épuisés par les fournitures à l’Ukraine, les capacités de défense anti-aérienne et le remplacement du matériel hérité de l’ère soviétique.

Un appel à la préférence européenne à été lancé. Mais la réalité est sévère. Le prix à payer pour la protection américaine est l’achat d’armement et de matériel américain. Beaucoup d’Etat membres de l’UE  ne trouvent rien à redire.  « Depuis 2006, 60% des achats d’armements européens ont été des importations de pays non européens », précise la Commission.

Les Etats-Unis sont déjà sur les rangs pour équiper leurs alliés européens. Des systèmes de défense anti-aériens Patriot ont été fournis pour remplacer les systèmes russes S-300 prélevés dans les arsenaux des anciens membres du Pacte de Varsovie et fournis à l’Ukraine.

Or l’UE a aussi un système de défense anti-aérien, celui du groupe Thales. Les Européens produisent également des armes et des munitions.

« Il faut se débarrasser des équipements soviétiques, mais il ne faut pas tomber dans une dépendance non européenne », insiste un responsable européen.

« Il y a des capacités européennes. Il faut se bouger. Nos industriels doivent se bouger », lance-t-il.

Des incitatifs financiers sont proposés par la Commission européenne. Un instrument sera crée « d’ici l’été » doté de 500 millions d’euros pour la période 2023 et 2024 pour permettre des achats « très ciblés » d’armements destinés à protéger l’UE. Il est appelé par la suite à financer des achats groupés.

« Il faut aller vite, sinon ce sera une opportunité perdue au profit des Américains », averti le responsable européen.

Ce ne sera pas évident. Les Etats membres n’aiment pas l’idée de laisser la main à la Commission européenne pour leurs achats militaires. Et ils prêtent des intentions cachées aux Français et aux Allemands, soupçonnés de téléguider cette préférence européenne. Pour la plupart d’entre-eux, le prix du parapluie américain est plus intelligible. L’Union reste un Tigre de Papier.

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