Bisbilles européennes pour un « invité spécial »

Bisbilles européennes pour un « invité spécial »

« Je ne peux tout simplement pas rentrer à la maison sans résultat ». Volodymyr Zelensky est direct. Le président ukrainien n’a pas quitté son pays en guerre pour faire le beau, ni pour satisfaire les calculs des ego tordus des dirigeants des institutions européennes. Il est  venu chercher des armes, des missiles, des avions de combats et il n’a pas pris de gants pour brusquer ses interlocuteurs. « Nous cherchons à survivre et pour survivre, nous avons besoin d’armes, nous avons besoin de ces armes-là », a-t-il martelé à Londres puis à Paris et enfin à Bruxelles où il s’est adressé aux élus des  pays de l’Union européenne et à leurs dirigeants réunis en sommet

L’émotion était pourtant au rendez-vous. Mon confrère Richard Werly l’a racontée avec beaucoup de talent. Mais les coulisses de  son voyage à Bruxelles sont peu reluisantes. Il a été organisé quelques jours après un sommet à Kiev avec les dirigeants des institutions européennes , le Belge Charles Michel, représentant des 27 et l’Allemande Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Les deux ont des relations exécrables faites de mesquineries et de coups bas très médiatisés.  L’Espagnol Jose Ignacio Torreblanca raconte cette guéguerre intestine dans un billet au vitriol publié par le quotidien El Mundo . Ursula von der Leyen, sans consulter Charles Michel, a décidé  de se rendre à Kiev un jour avant le sommet avec une quinzaine de commissaires européens pour une réunion de travail avec leurs alter-ego ukrainiens. En soi rien d’extraordinaire. L’Ukraine veut adhérer à l’Union européenne  et l’initiative s’inscrit dans cette perspective. L’affaire n’a pas été facile à monter pour des raisons évidentes de sécurité mais l’équipée a rencontré un franc succès,  d’autant qu’elle a été très médiatisée. Charles Michel en a pris ombrage.  Avant de quitter Kiev, il a invité le président Zelensky à se rendre à Bruxelles pour participer à un sommet européen. La réunion, extraordinaire des 9 et 10 février avec un gros point Ukraine à l’ordre du jour était « le momentum » idéal. Mais faire venir le président ukrainien n’est pas évident, surtout si l’on cherche à faire un coup. Or Charles Michel veut faire un coup. « Il a r  besoin de l’attention des media », explique un responsable européen qui le connait bien. « Ursula von der Leyen est devenue une fixation », raconte un autre

Un sommet européen implique beaucoup de gens. La présidente du Parlement européen, la Maltaise Roberta Metsola est de la partie. Si Volodymyr Zelensky vient à Bruxelles, il doit intervenir devant les élus, a-t-elle fait savoir. Il faut donc les prévenir pour éviter un hémicycle vide. Une réunion avec les présidents de groupe a été organisée le lundi 6 février et là, tout a dérapé. L’information du déplacement du président Zelensky à fuité. Très fiers, plusieurs groupes annoncent  « la probabilité que se tienne une session plénière extraordinaire le jeudi 9 février en présence de Volodymyr Zelensky« . Colère chez Charles Michel où l’on dénonce les irresponsables. Mais le mal est fait. Le président du Conseil fait savoir le lundi soir qu’il a invité Volodymyr Zelensky « à participer en personne à un futur sommet ».  « Pour des raisons de sécurité, aucune information supplémentaire ne sera divulguée », précise sur Twitter son porte-parole.

Charles Michel a encore la main.  Surprise, mercredi, Londres annonce l’arrivée venue du président ukrainien, embarqué en Pologne à bord d’un avion de la RAF.  Le secret a été bien gardé. Volodymyr Zelenky a décidé de commencer sa tournée européenne dans un pays à l’écoute de ses demandes  d’armements et qui  entraine une partie des forces armées ukrainiennes. Les Britanniques ont été les premiers à promettre la fourniture de chars de combat modernes. Quatorze Challenger. Le président ukrainien veut maintenant des avions de combat et des missiles à longue portée et il sait que Londres répondra favorablement à sa requête.

L’étape londonienne a pris tout le monde de court. Emmanuel Macron réagit très vite. Il contacte Zelensky et le convie à un diner de travail à Paris auquel participera le chancelier Olaf Scholz. Volodymyr accepte l’invitation d’Emmanuel. Charles Michel a perdu la main à ce moment là. Le président ukrainien ne pourra pas voyager de Paris à Bruxelles dans la nuit. Il arrivera le lendemain avec le président Français. Le président du Conseil sera à l’aéroport, mais il sera accompagné  d’Ursula von der Leyen. Peu d’images. Les caméras sont au siège du Parlement où Roberta Metsola a organisé une entrée triomphale pour Volodymyr Zelenky .  Ursula von der Leyen, tout sourire, est dans l’hémicycle avec tous les membres de la Commission. Charles Michel est retourné dans son oeuf, surnom du bâtiment Europa, siège de la présidence du Conseil.

Il accueillera finalement le président ukrainien en fin de matinée. Beaucoup d’effusions qui ne parviennent pas à occulter les rancoeurs et les tensions. L’Italienne Giorgia Meloni ne cache pas sa colère de ne pas avoir été conviée au diner organisé par Emanuel Macron et juge l’initiative « inopportune »,  car elle rompt l’unité entre les 27. L’Italie est un des grands pays de l’UE, membre du G7 et sa mise à l’écart fait jaser dans la péninsule. Son prédécesseur, Mario Draghi, avait été du voyage à Kiev avec Emmanuel Macron et Olaf Scholz  et personne ne doute qu’il aurait été convié au souper à l’Elysée.

Emmanuel Macron lui est irrité par les questions sur les fournitures d’armements et la formation de pilotes promises par Londres.  « Nous n’avons pas eu cette discussion hier soir » avec le président Zelensky,  affime-t-il.  « Quand on partage les objectifs de guerre, il faut savoir quels sont les équipements adaptés, parce qu’on voit bien que les prochaines semaines et les prochains mois seront décisifs. Je suis convaincu qu’il faut privilégier les livraisons utiles pour résister et mener les opérations  plutôt que des engagements qui arriveront très tard ou trop loin. Il faut regarder ce qui est livrable à court terme, ce qui correspond aux besoins que les Ukrainiens ont pu détailler ».  

Volodymyr Zelenky a-t-il été informé de ces bisbilles ?  Sans doute. Mais il n’en a rien dit. Son pays aspire a rejoindre la famille européenne.  Il attend la fourniture des armes promises, mais il a tenu a rester discret. « J’ai engrangé des résultats lors de mes visites à Londres et à Paris pour renforcer nos capacités offensives, mais je ne veux pas les rendre publics. Nous pourrons le faire quand ils se concrétiseront », a-t-il expliqué lors de sa conférence de presse avec Ursula von der Leyen et Charles Michel. Très ému, le président du Conseil européen  lui a répété  « l’Ukraine est l’Europe, l’Union européenne est notre maison commune ».  Zelensky l’a alors pris au mot.  « L’adhésion, nous en avons besoin cette année, et quand je dis cette année, c’est 2023 ».

« Quand je vous ai fait la proposition de venir rencontrer les dirigeants des 27, ce n’était pas seulement pour vous offrir une tribune, mais pour des décisions », lui a répondu Charles Michel.

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