Ursula, « Queen of Europe »

Ursula, « Queen of Europe »

L’année du Lapin réussit à Ursula von der Leyen. La recluse est sortie de l’ombre et s’affirme dans le grand jeu du pouvoir. Le Britannique Rishi Sunak lui doit un « accord historique » avec l’UE, Joe Biden l’a reçue pour un tête à tête au coin du feu à la Maison Blanche et Emmanuel Macron l’embarque pour sa visite d’état en Chine. Une « saison 2 » lui est prédite à la tête de la Commission, à moins qu’elle ne soit attirée par d’autres fonctions.

Ursula von der Leyen rayonnait dans sa veste orange, couleur de l’ambition, lors de la conférence de presse du sommet européen le soir du 23 mars. Accroché à son pupitre, le Belge Charles Michel semblait perdu dans ses pensées, le regard vague, absent. Le président du Conseil européen, crucifié par la lecture d’un article au vitriol publié le matin même par le site Politico, lui a laissé la tribune.

Le balancier bascule toujours à mi-mandat pour les présidents des institutions. Son prédécesseur à la tête de la Commission, l’ancien Premier ministre du Luxembourg Jean-Claude Juncker, a perdu la main en fin de parcours, au plus fort des tensions provoquées par le Brexit. Une presse britannique virulente, de gros ennuis de santé et le scandale provoqué par l’ubris de son chef de cabinet, l’Allemand Martin Selmayr, l’ont réduit au silence. Son « rival », le Polonais Donald Tusk, président du Conseil, a alors pris le témoin et s’est affirmé.

Charles Michel est en fin de course. Il a été reconduit une fois et son mandat prend fin en 2024, après les élections européennes. Il sera absent du mercato pour les « top jobs » européens.
Ursula von der Leyen en revanche pourrait obtenir un second mandat. Le président français Emmanuel Macron, à qui elle doit sa nomination, ne serait pas contre sa reconduction. Mais beaucoup d’obstacles restent à franchir. Le deuxième mandat du Portugais José Manuel Barroso n’a pas laissé un souvenir impérissable et l’idée de renouveler l’expérience suscite beaucoup de réticences.

Il faut d’abord persuader le chancelier Olaf Scholz qu’il a beaucoup à gagner en maintenant sa compatriote à la présidence de la Commission européenne, même si elle n’est pas de son bord.  Ursula von der Leyen devra pour sa part convaincre le Parti Populaire Européen de la soutenir. Le groupe au PPE ne l’aime pas.  Il l’a lâchée lors de son investiture, approuvée avec une très faible majorité de 9 voix , et les Allemands la rabrouent chaque fois qu’elle assiste à une de leur réunion, racontent les élus. « Pourquoi accepterait-elle un second mandat ? Pour continuer à faire la secrétaire du Conseil », lâche un membre de l’appareil politique. Le péché est révélé. Ursula von der Leyen a ravalé la Commission européenne au rang de secrétariat général et s’est soumise aux Etats membres.

Mais le PPE n’est plus la force d’autrefois. « Il ne dirige plus rien à l’ouest de Vienne », déplore un membre influent. Allemagne, France, Espagne, Italie. Les grands pays lui ont échappé et il lui est désormais difficile de prétendre conserver la présidence de la Commission européenne après 20 années de domination. Les Européennes risquent d’être meurtrières pour certains partis de la galaxie PPE, notamment Forza Italia en Italie ou les Républicains en France, menacés d’élimination. La solution de la reconduction devient une option pour une famille politique en déclin.

Ursula von der Leyen pourrait être tentée par d’autres défis. Première femme présidente de la Commission, elle pourrait  être séduite par l’idée de briser un nouveau plafond de verre. Son profil cadre avec celui recherché pour la succession du Norvégien Jens Stoltenberg comme secrétaire général de l’Otan.  Un poste jusqu’à présent toujours confié à des hommes.

Les membres de l’Union européenne veulent le poste pour un des leurs et cherchent une femme. Le nom de l’Estonienne Kaja Kallas est souvent cité, mais elle est jugée trop anti-russe.  Si l’Otan a retrouvé son ennemi et donc sa raison d’être,  les alliés ne  cherchent pas l’affrontement avec Moscou. Ancienne ministre de la Défense d’Angela Merkel, Ursula von der Leyen est plus acceptable, d’autant que l’Allemagne a annoncé d’énormes dépenses pour sa défense.

La présidente de la Commission ne dissimule pas son intérêt pour l’Otan. « Elle sait qu’un second mandat est loin d’être assuré et elle fait de l’entrisme pour le poste de secrétaire général », confie un responsable européen sous couvert de l’anonymat.  Elle entretient d’excellentes relations avec Jens Stoltenberg,  se montre très attentive aux positions américaines, multiplie les déclarations, parfois maladroitement,  en faveur d’un partenariat de plus en plus poussé entre l’UE et l’Otan pour la Défense, oubliant qu’il s’agit d’un domaine régalien pour les Etats membres, ce qui agace à Paris.

Pour avoir ses chances, il faudrait que la fin de son mandat coïncide avec celui du secrétaire général. Jens Stoltenberg a été prolongé une 3e fois dans ses fonctions,  jusqu’au  30 septembre 2023, mais il a fait savoir qu’il ne souhaite pas continuer. « Si on le supplie à genoux, il reviendra sur sa décision », assure toutefois le représentant d’un pays membre de l’Alliance. Les Etats-Unis dirigent l’Otan et la décision appartient à Joe Biden, qui semble apprécier Ursula.

Mais l’ajout de l’Otan dans les « top jobs » européens –président du Conseil, président de la Commission et chef de la diplomatie —  froisse à Bruxelles. Mais le précédent de présidence de la Banque Centrale Européenne, en lice en 2019 avec celles des institutions européennes, démontre que rien n’est définitif dans l’UE. Les  postes sont en effet attribués en respectant un équilibre entre  les principales familles politiques pro-européennes, et il devient de plus en plus compliqué à trouver .

Quel revirement pour une dirigeante mal aimée, « sortie du chapeau par Macron » alors que le processus des nominations était bloqué au sommet européen . Son portait par Ben Judah en dit long sur sa personnalité. Recluse pendant la première année de son mandat dans son bureau-appartement au treizième étage du Berlaymont, le siège de la Commission dans le quartier européen, Ursula von der Leyen a donné l’image d’une dirigeante froide, distante, coupée de son institution, dirigée avec une poignée de fidèles avec la volonté de diviser pour mieux régner. Ses relations avec Charles Michel sont rapidement devenues conflictuelles et exécrables . Plus personne n’est dupé par leurs manifestations de complicité lors des sommets européens.

« Elle a été sauvée par les crises », explique un responsable européen de haut rang. « Elle a assuré face à la pandémie, puis avec le plan de relance et la guerre en Ukraine. Elle a fait le job », souligne-t-il.  « Son mode de fonctionnement est très contesté, mais il  il fonctionne en période de crise » explique-t-il. « Elle est une personnalité intéressante, mais controversée » .

Ursula von der Leyen n’aime pas les media. Longtemps sa communication s’est faite à coup de vidéo « pimprenelle » publiées sur twitter. Puis elle a commencé à appliquer la méthode Selmayr: sélectionner les  journalistes. Toujours diviser pour régner. Cela lui a réussi. En 2022 elle est arrivée en tête du classement des 100 femmes les plus influentes établi par le magazine Forbes et en seconde position dans la catégorie « les rêveurs » du site Politico.

La retraite d’Angela Merkel a laissé vacant le titre de « Queen of Europe ». Sa dauphine est désormais en mesure de reprendre la couronne. Elle a pris de l’assurance et ses interventions sont devenues de plus en plus pugnaces, au risque de froisser. Elle a ainsi délivré « sa vision » des relations entre l’ UE et la Chine devant deux centres  de réflexion quelques jours avant son déplacement en Chine pour participer le 6 avril à la visite d’Etat du président français Emmanuel Macron.  Un discours incisif, avec en conclusion une mise en garde sans détours: « Devant le parti communiste chinois, le président Xi a invité le peuple chinois à se préparer à la lutte (…) Nous ne voulons pas rompre les liens économiques, sociétaux, politiques et scientifiques (…)  Nous devrons adapter notre stratégie face à la Chine en fonction de la manière dont le Parti Communiste Chinois semble évoluer ».

« L’Union a une nouvelle doctrine chinoise »,  s’est enthousiasmé la revue « Le Grand Continent ». L’ambassadeur de Chine à Bruxelles  a en revanche peu apprécié.  Le diplomate s’est dit  « a little bit disappointed » et a critiqué la source de la vision de la présidente de l’exécutif bruxellois.  « Celui qui a écrit ce discours  ne comprend pas vraiment la Chine ou a délibérément déformé les positions chinoises », a-t-il déclaré à la chaîne de télévision publique CGTN dans une allusion à la position américaine défendue par le président Biden.

La présidente de la Commission  doit participer à la séquence européenne des entretiens entre Emmanuel Macron et le président Xi Jinping. « Nous espérons que sa visite en Chine et son dialogue avec les dirigeants chinois lui permettront de mieux comprendre la Chine », a lancé l’ambassadeur chinois.  Il n’est pas certain que ses vues sur la Chine soient partagées par tous les dirigeants européens. « Son déplacement en Chine n’a pas été discuté pendant le sommet », a confié un des participants. « Il ne faut pas mettre trop de formalisme dans cette affaire », a insisté son porte-parole.

Ursula von der Leyen doit se rappeler qui l’a faite présidente. Sa position reste fragile et ses nombreux détracteurs attendent le faux pas qui la fera trébucher.

 

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