Bassesse et médiocrité européenne

Bassesse et médiocrité européenne

L’Union européenne est exaspérante. Elle est capable d’accomplir de grandes choses, mais jamais avec panache. La médiocrité lui colle à la peau, tenace. La fourniture de munitions à l’Ukraine en est l’illustration. Mesquineries, coups bas, dénigrement: le plan d’action approuvé le 20 mars a été tellement mis à mal par les querelles intestines que les dirigeants ukrainiens se sont alarmés  de « l’incapacité de l’UE à mettre en œuvre sa propre décision ». Mis minables, les 27 ont demandé au  chef de la diplomatie européenne Josep Borrell d’apaiser Kiev. Mais le mal est fait.

Catherine Colonna, la ministre des Affaires étrangères de la France, est une diplomate posée et polie. Mais lundi, à Luxembourg, elle va devoir siéger aux cotés de plusieurs de ses homologues qui se sont livrés à un « french bashing » d’enfer, accusant Paris de bloquer l’accord conclu un mois auparavant sur les achats communs de munitions pour « protéger son industrie de la Défense ». Leur homologue ukrainien Dmytro Kouleba a dit sa frustration dans un tweet rageur . « Il s’agit d’un test pour déterminer si l’UE dispose d’une autonomie stratégique dans la prise de nouvelles décisions cruciales en matière de sécurité. Pour l’Ukraine, le coût de l’inaction se mesure en vies humaines », a-t-il averti.

Il interviendra en visio-conférence durant la réunion de Luxembourg et l’explication de texte pourrait être cinglante, notamment avec le ministre polonais. Varsovie, qui « sans aucun scrupule » a interdit de manière illégale l’accès des céréales ukrainiennes sur son territoire, est à la pointe des attaques contre la France, accusée de vouloir faire financer des livraisons de missiles « dont l’Ukraine n’a pas besoin ». Or a chacune de leurs interventions, le président Volodymyr Zelensky,  Dmytro Kouleba et le ministre de la défense ukrainien Oleksiï Reznikov réclament des munitions pour leur artillerie et des missiles pour leur défense anti-aérienne. Important producteur d’obus, La Pologne ne produit pas de missiles et souffre à l’idée de voir une partie de l’enveloppe destinées aux  remboursements être utilisée pour rembourser les munitions des systèmes anti-missiles.

« La France ne bloque pas. Il faut arrêter le French bashing ». Les diplomates français se sont fait vendredi l’écho de l’irritation croissante à Paris . A Bruxelles, Josep Borrell a pris la mesure du problème. « Je me suis entretenu avec Dmytro Kouleba pour confirmer que l’UE respecte ses engagements de fournir des munitions à l’Ukraine », a-t-il assuré vendredi soir dans un tweet. Mais l’Espagnol s’est empétré dans les chiffres et son message a du être effacé.

« Nous comprenons l’anxiété de Dmytro Kouleba, mais elle ne reflète pas la réalité de l’aide militaire (de l’UE) à l’Ukraine », a assuré un haut responsable européen . Les 27 de l’UE se sont engagés à fournir 1 millions d’obus de 155 mm à l’Ukraine d’ici à la fin de l’année pour permettre à son artillerie de stopper l’offensive russe et de couvrir une contre-offensive menée pour reprendre leurs territoires occupés et annexés. Les forces ukrainiennes tirent  en moyenne 3.000 obus par  jour.

L’accord du 20 mars, entériné quatre jours plus tard par les chefs d’Etat et de gouvernement, prévoit trois phases, chacune dotée de financements. Pour la première, les 27 se sont engagés à prélever des munitions d’artillerie dans leurs arsenaux et à les livrer à l’Ukraine. Ils doivent le faire au plus tard le 31 mai afin de bénéficier de remboursements. Une enveloppe de 1 milliard d’euros a été allouée à cette fin dans la  Facilité européenne de Paix (FEP) , le fonds créé par les Etat membres pour leurs missions militaires. Il est utilisé depuis le début du conflit  pour financer le soutien militaire à l’Ukraine, ce qui est interdit au budget commun géré par la Commission.  Cette première phase est en bonne voie. Les Etats membres ont déstocké et ont déjà soumis des factures pour un montant de 664 millions d’euros, a annoncé Josep Borrell.  Un milliard d’euros permet d’acheter 250.000 obus de 155 mm au prix de 4.000 euros pièce, mais le remboursement de la FEP se fait sur la moitié du prix, selon les indications fournies par ses gestionnaires. Paris rappelle à ses détracteurs que la France,  l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne contribuent pour 60%  de la dotation de la FEP et donc aux remboursements demandés avec insistance par la Pologne.

La seconde phase vise a reconstituer les arsenaux européens. Elle prévoit des achats communs aux entreprises européennes de la défense. Une seconde dotation de 1 milliard d’euros a été allouée à la FEP pour inciter la passation de contrats avant le 30 septembre. L’idée est triple: reconstituer les stocks –certains arsenaux de pays UE membres de l’Otan sont très très bas– , soutenir les « fabricants de canons » de l’UE et continuer à fournir l’Ukraine. La troisième phase est complémentaire. Elle va inciter les industriels de l’UE à augmenter leurs productions en Europe grâce aux contrats d’achat et à réduire leurs dépendances pour les éléments des munitions, notamment la poudre.

C’est là que le bât blesse. L’accord conclu en mars stipule que les achats communs co-financés par la FEP seront réalisés auprès de « l’industrie de défense européenne ». La France a une lecture très stricte de cette disposition, ont indiqué plusieurs diplomates européens. Paris refuse de faire rembourser des achats à des entreprises non-européennes ou non installées dans l’UE.

« Lors de la réunion du 20 mars, il a été politiquement convenu que nous achèterions européen et c’est le point de départ. Mais de nombreux ministres ont également dit que s’il s’avère que nous ne pouvons pas le faire, s’il s’avère que nous ne pouvons pas aider l’Ukraine en utilisant uniquement la base de défense européenne, nous devrions regarder un peu plus loin », a souligné le représentant d’un état membre.

« La France souhaite que le principe + produit dans l’UE +  soit mis en œuvre dans l’accord.  Un certain nombre d’autres États membres doutent que, dans ce cas, les munitions puissent être livrées à temps à l’Ukraine. Nous ne devons pas exclure catégoriquement les partenaires d’armement en Australie, en Corée du Sud, en Afrique du Sud ou en Suisse. Sinon, certains États membres craignent qu’il y ait des plaintes judiciaires. Nous parlons de contrats d’une valeur de plusieurs milliards d’euros », a expliqué un de ses homologues.

Le plus gros fabriquant européen de munitions, le groupe allemand Rheinmetall, a une usine de fabrication de munitions en Australie et veut pouvoir bénéficier des remboursements européens pour cette production.

Paris refuse de rouvrir l’accord.  « Des acquisitions conjointes dans des stocks achetés ailleurs, comme le demande la Pologne,  ce n’est pas l’esprit de l’accord », soutiennent les Français. « Industrie européenne cela signifie production en Europe ».

« Un accord sera dégagé. Quelques jours supplémentaires  ne vont pas changer la donne », a commenté le haut fonctionnaire européen. Les négociations sont menées par les ambassadeurs des Etats membres à Bruxelles.  Les ministres devraient être en mesure de clarifier les positions lundi à Luxembourg et l’affaire sera réglée. « Les munitions seront livrées à l’Ukraine dans les délais », a assuré le haut fonctionnaire.

Mais la polémique laissera des marques. L’Estonie a été accusée quelques semaines plus tôt de tricher et de vouloir se faire rembourser au prix neuf des armements  anciens.  Une mise au point très sèche a été publiée par le ministère estonien de la Défense.  Une méconnaissance du fonctionnement de la FEP  a alimenté ces accusations. Les états membres doivent répondre à des commandes de l’Ukraine. Ils valorisent ensuite les armements et munitions fournis pour leur demande de co-financement. La FEP a créée un « argus », base utilisée pour les remboursements.

Les attaques contre l’Estonie et contre la France sont animées par une volonté de nuire et entretiennent le défaitisme dans l’UE.  « Certains Européens se complaisent dans le +on ne va jamais y arriver+ », déplore un responsable européen.  L’Union européenne a des capacités de production beaucoup plus importantes que beaucoup d’autres pays et ses industriels se sont montrés capables de réduire leurs délais de fabrication.

L’autonomie stratégique défendue par le président français Emmanuel Macron ne fait plus sourire. Le Royaume Uni s’est exclu du marché européen avec le Brexit et les Etats-Unis sont hors jeu à cause de leur protectionnisme qui ferme leurs marchés publics.  Voir l’Union européenne s’affirmer comme une puissance militaire dotée de capacités de production qui montent en puissance devient un problème.

Ce temps n’est pas encore venu. La plupart des Etats européens membre de l’Otan se sentent « protégés » par leur appartenance à l’Alliance et dans leur vassalisation. Ils font co-financer les armements et les avions de fabrication soviétique comme les MIG-29 et les remplacent par des armements et des avions  américains.  Ils ont oublié leur peur lorsque le Républicain Donald Trump a mis en doute l’utilité de l’Otan et remis en question l’article 5 .  Quelle sera l’issue des élections américaines en 2024 ?  Le nouveau président va-t-il considérer le soutien à l’Ukraine comme une priorité ? Les deux prétendants du parti républicain –Donald Trump et le gouverneur de Floride Ron DeSantis–  ont clairement dit que non. Le conflit entre l’Ukraine et la Russie s’nanonce long. L’Union européenne sera-t-elle en mesure d’assurer seule le soutien militaire et économique à Kiev ? La question mérite d’être posée.

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