L’UE réduit le gaz pour ménager son moteur allemand 

L’UE réduit le gaz pour ménager son moteur allemand 

Rester unis, protéger le moteur économique allemand, passer l’hiver, ne pas faire d’erreur et conserver l’adhésion des citoyens européens déboussolés par le prix à payer pour soutenir l’Ukraine contre la Russie: la partie est difficile, mais l’Union européenne peut la remporter et sortir renforcée de la guerre lancée par Vladimir Poutine.

Moscou a déclenché les hostilités en coupant le gaz. L’UE a répliqué avec la décision de réduire sa consommation  de 15% à partir du 1er août, « pour passer l’hiver » et ménager l’économie allemande.

« Ce n’était pas mission impossible », s’est félicitée la présidence tchèque du Conseil de l’UE pour son baptême du feu à l’issue d’une réunion d’urgence des ministres de l’Energie à Bruxelles le 26 juillet.

Les Européens reviennent pourtant de loin. Une proposition calamiteuse soumise par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a manqué faire imploser l’Union, a raconté un diplomate de haut rang.

La copie a été revue pour devenir acceptable.  Mais l’unité a volé en éclat. La Hongrie à voté contre le compromis, a révélé le ministre luxembourgeois Claude Turmes.  Budapest assume. « Il s’agit d’une proposition injustifiable, inutile, inapplicable et nuisible qui ignore complètement les intérêts nationaux, sert des objectifs de communication et vise à sauver la crédibilité de certains politiciens d’Europe occidentale », a soutenu le ministre hongrois des Affaires étrangères, Peter Szijjarto.

La majorité qualifiée était requise pour passer l’accord. Le non de Budapest est donc sans conséquences. Mais le cavalier seul du Premier ministre hongrois  devient un problème, car Viktor Orban inspire les autres populistes européens.

En Italie, ils ont fait chuter Mario Draghi pour tenter de revenir au pouvoir en septembre. Un autre grand ami de Vladimir Poutine, Silvio Berlusconi, est à la manoeuvre dans la péninsule et il est prêt à s’associer avec les formations d’extrême-droite, pro-russes, pour parvenir à ses fins.  Le patron du Parti Populaire Européen, l’Allemand Manfred Weber, va avoir du mal à tenir la famille après la traitrise de Silvio.

Vladimir Poutine veut détruire l’Union européenne. Pour cela, il se hasarde dans une guerre économique. Il la justifie comme une réponse aux sanctions adoptées par les Européens pour casser le financement de son effort de guerre en Ukraine.

« La décision était prévisible. C’est une fuite en avant. Il espère que l’UE va s’épuiser », explique le représentant d’un pays européen à Bruxelles.

La dépendance de l’Allemagne et de plusieurs autres Etats membres clients de Gazprom avait jusqu’à ce jour bloqué les tentatives d’imposer un embargo sur les achats de gaz. Poutine a décidé de passer à l’acte. Il a fermé les vannes et sacrifié Gazprom.

« Le groupe russe a perdu tous ses clients européens », soutient un analyste. Rien n’empêchera désormais l’UE de sanctionner son patron, Alexei Miller, et son bras financier, Gazprombank.

L’UE a acheté  153 milliards de m3 de gaz russe, soit plus de 40% de ses importations en 2021. Les fournitures sont tombées à 20% en juin 2022, souligne une étude publiée par Bruegel.

Le Kremlin frappe ainsi directement l’Allemagne, première économie du bloc et son talon d’Achille, car elle s’est mise en état de dépendance.  Aucune infrastructure pour traiter le Gaz Naturel Liquéfié et de faibles réserves l’ont rendue très vulnérables.

« L’Allemagne a commis une erreur stratégique dans le passé » avec cette dépendance envers Moscou et le gouvernement travaille d’arrache-pied pour la supprimer, a reconnu le ministre allemand Robert Habeck.

Mais sans la solidarité de ses partenaires, l’Allemagne ne parviendra pas à passer l’obstacle.

A nouveau la démonstration est faite que les Etats de l’UE se tiennent. L’assèchement des fournitures de gaz russe provoquerait un « infarctus économique » avec une perte de PIB pouvant atteindre 6,5% de la richesse annuelle entre 2022 et 2023, ont averti plusieurs instituts économique allemands.

« Si la chimie tousse en Allemagne, alors c’est toute l’industrie européenne qui peut s’arrêter », a expliqué Agnes Pannier-Runacher, la ministre française de l’Energie, lors de la réunion de crise à Bruxelles.

« La solidarité européenne est absolument essentielle, car nos chaines de production industrielles sont complètement interdépendantes », a-t-elle souligné.

L’Allemagne consomme en moyenne 70 milliards de m3 de gaz par an dont 55% achetés en Russie. L’essentiel transite via Nord Stream, le gazoduc d’une capacité de 55,5 milliards de m3 par an construit sous la Baltique par Gazprom pour relier directement la Russie et l’Allemagne et éviter le transit par l’Ukraine.

Les Européens ont vu venir la  fermeture de Nord Stream . « Gazprom n’est pas fiable. Gazprom c’est Poutine. Nous devons nous préparer au pire, à une coupure totale des fournitures de gaz par la Russie qui frapperait toute l’Union », a plaidé la présidente de la Commission Ursula von der Leyen.

Elle a préconisé de réduire de 15% la consommation de gaz dans l’UE dès cet été, soit l’équivalent de 45 milliards de m3, « pour passer l’hiver », et a demandé de donner à la Commission le pouvoir de rendre cette réduction obligatoire en cas d’arrêt total des fournitures par la Russie.

« C’était un coup à rompre l’unité », a commenté un diplomate de haut rang. La copie a été remaniée pour rendre la mesure moins punitive.

Dessiné pour éviter à l’Allemagne de réduire sa consommation de 40%, le projet a été tué quelques heures après sa présentation. Un plan « injuste » et « inacceptable », a tonné l’Espagnole Teresa Ribera, voix respectée au sein de l’UE.  Le premier examen par les ambassadeurs des Etats membres a scellé son sort.

Les Etats membres n’ont conservé que la formule en trois S de Thierry Breton: substitution, solidarité et sobriété.

« La substitution, ce n’est pas seulement changer une source de gaz contre une autre. C’est aussi accélérer le passage du gaz vers d’autres sources d’énergie. Vers les énergies vertes partout où c’est possible ; vers d’autres sources d’énergie quand cela est nécessaire », a expliqué le Commissaire. Le nucléaire est pris en compte comme énergie « bas carbone », contre l’avis du commissaire au Climat Frans Timmermans.  Et une prolongation de certaines centrales promises à l’arrêt est envisagée en Allemagne et en Belgique.

« Pour que la solidarité fonctionne, il faut que chaque État Membre prenne ses responsabilités. Ceux qui demanderont la solidarité devront faire la démonstration qu’ils ont mis en œuvre toutes les mesures nécessaires à la réduction de la demande de gaz russe », a ajouté Thierry Breton.

« Les économies d’énergie doivent garantir la continuité de nos chaînes de valeur, assurer la fourniture des biens et services essentiels, et maintenir intactes les capacités productives », a-t-il insisté. « Mon objectif est clair : mettre tout en œuvre pour trouver les substitutions pour éviter les fermetures d’usines. Pour l’intégrité du marché intérieur bien sûr, mais surtout pour préserver l’emploi et le niveau de vie des européens », a-t-il conclu.

Plus question d’un effort uniforme, pas adaptés aux réalités.  Il est partagé, coordonné, et l’objectif de 15% devient  une référence pour la période », a expliqué un des négociateurs de l’accord.

La campagne de sobriété débute le 1er août et mais la décision de rendre obligatoire l’objectif de 15% sera prise par les Etats membres et non par la Commission.

Le gaz utilisé par les industries essentielles et les achats pour remplir le stockage sont exclus du calcul. L’accord prend en compte les capacités d’exportations, celles des interconnections et les possibilités de basculer des productions sur d’autres sources d’énergie. L’entente entre la Bulgarie et la Grèce est citée en exemple. Lorsque Gazprom a coupé le gaz à Sofia, Athènes a pris le relais et Sofia a envoyé en échange de l’électricité.

La proposition de la Commission n’était pas à prendre ou à laisser, a assuré le porte-parole de Mme von der Leyen après cette correction.

Mais l’effort ne règlera rien s’il n’est pas accepté par les citoyens européens. Le Premier ministre tchèque Petr Fiala a mis en garde contre « le risque d’être confrontés à de graves problèmes sociaux » à la rentrée de septembre.

« Il faut rassurer les populations face à l’inflation des prix alimentaires et de l’énergie, sinon nous risquons de perdre face aux populistes », a-t-il averti début juillet devant le Parlement européen.

« Nous les avons battus il y a six mois et nous ne voulons pas nous retrouver dans la situation d’il y a six mois », a-t-il rappelé .

« Le sentiment que l’on paie pour les sanctions contre la Russie est de plus en plus répandu dans l’UE »,  a confirmé le représentant d’un grand état à Bruxelles.  En France, ou le mouvement des gilets jaunes est né d’une hausse des prix du diesel,  le groupe TotalEnergies va appliquer une remise à la pompe de 20 cts par litre entre septembre et novembre. Elle vient s’ajouter à la ristourne de 18 cts accordée par l’Etat. Une mesure similaire est envisagée en Belgique.

« Il faut passer l’hiver », affirme le diplomate.  « La pression va être très forte. Il ne faut pas faire d’erreur », prévient-t-il. Les Européens espèrent que l’effet de leurs sanctions va frapper durement l’économie russe au début de l’année 2023 et pousser Vladimir Poutine à négocier avec l’Ukraine.

Un nouveau débat commence à poindre au sein de l’UE:  la nécessité d’un nouvel endettement commun pour faire face à la crise énergétique. L’idée circule à Bruxelles, mais elle divise. Les « frugaux » emmenés par le Néerlandais Mark Rutte freinent.

Le positionnement de l’Allemagne sera une nouvelle fois déterminant.  « On pourra envisager un nouveau fonds de relance si l’on dépense correctement les 750 milliards du premier endettement et si l’on parvient à s’entendre rapidement sur des ressources propres pour financer cet effort », a expliqué Laurence Boone, la secrétaire d’Etat pour l’Europe, dans un entretien au quotidien Libération.

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